Ne nous leurrons pas; l’homme occidental doit souffrir pour s’affranchir de ses péchés, et personne n’est aussi frétillant que moi à l’idée d’une bonne flagellation livresque pour expier tous les infâmes actes commis entre 10h et 17h derrière le bureau du prêt.
Cependant il m’arrive de fauter et de lire un livre si plaisant, si agréable que tout se trouve à refaire, et Oh! Éditions se retrouve à nouveau en pôle position sur ma liste de lecture.
Car je suis tombé sur le dernier Desarthe…
On ne devrait plus présenter Agnès Desarthe; cette grande dame (au moins 1.90m) de la littérature française publie depuis 1992 presque sans arrêt, pour tous les âges et dans une variété d’éditions et de collections à faire pâlir n’importe quel Levy, Musso ou même Meyer.
D’autre part, elle a aussi participé à la traduction de l’anglais d’un certain nombre d’auteurs américains non-négligeables, dont le versatile Sachar , l’improbable Fine et surtout la troublante (et pas forcément dans le bon sens du terme) Lowry.
Mais ça, c’est pour contextualiser la dame, car déjà lorsque j’étais petit Davide à la section jeunesse des BM et que je faisais rire les grand(e)s en lisant des livres des collections "Grands galops" ou "Coeur grenadine", la parution et surtout la lecture d’un Desarthe était un moment de pur bonheur, car c’était la promesse de l’humour noir à souhait, aux situations terriblement, désespérément humaines, aux dialogues juste ce qu’il faut de verbeux, et aux chutes particulièrement bien amenées.
Alors, 10 ans plus tard, la grande Agnès est-elle encore sur le ring ?
La réponse est oui, et c’est tant mieux!
Dans la nuit brune est un non-roman, ou plutôt un multi-roman, dont l’histoire est des plus simples. Un personnage principal vit avec sa fille adolescente. Le petit ami de celle-ci se tue, et c’est tout un engrenage qui se met en branle autour du père, entraînant avec lui un nombre très exactement suffisant de personnages secondaires tous superflus, mais tous tellement justes à leur place. De plus, le roman est multi; pas vraiment un roman policier, pourtant il y a enquête; on pourrait croire au roman sentimental, car il y en a à foison, mais le sentiment que dépeint Desarthe est par trop proche de l’espèce de résidu collant, salissant et embarassant qu’on rencontre dans la vraie vie pour se parer l’étiquette du genre à ce roman. On passe par le roman historique, le Bildungsroman, même un peu de science-fiction voire du gothique sans jamais être sûr que le propos du roman ait fini d’évoluer, et c’est très bon.
S’il devait y avoir une critique un tant soit peu négative à ce livre, il s’agirait de la même qu’on pourrait faire à d’autres chefs d’œuvre de Desarthe, particulièrement Je manque d’assurance, c’est de ne pas se contenter de l’excellence développée au cours du roman et d’avoir besoin de rajouter une dernière couche de récit totalement superflue qui fait passer un livre autrement exceptionnel à un exercice un peu surfait. Dans le susmentionné Je manque d’assurance il s’agissait d’une fin heureuse des plus indigestes, pour Dans la nuit brune il s’agit plutôt d’une tirade historico-familiale un brin démagogique dont on se serait bien passé. Mais bon, cela reste du Desarthe, de l’excellent Desarthe.
DESARTHE, Agnès. Dans la nuit brune. Paris, Olivier, 2010. 210 p.
p.s.: pour un autre avis, voyez donc celui de Morgouille