A mon avis, on ne se méfie jamais assez des Suisses.
Autant ce peuple affiche une image de neutralité placide, de pondération polie et de bienséance humaniste, autant il cache en son sein quelques auteurs durs comme le granit grison, froids comme le lac de la Gemmi et lucides comme seul certains auteurs suisses peuvent l’être (Fritz Zorn si je regarde dans la direction de votre pierre tombale ce n’est pas par hasard).
Dürrenmatt fait partie de cette catégorie, manifestement.
Ce monsieur, qui est évidemment auteur de romans, d’essais, de pièces scéniques et radiophoniques mais aussi de scénarios de films, ainsi que peintre, a suffisamment sévi durant le 20ème siècle pour être reconnu de tous les Suisses, tout comme le Sopalin ou le Cenovis.
Voilà où s’arrête la somme de mon savoir à son sujet, et j’en aurais été fort content si ce n’était une recommandation maintenant oubliée qui m’a fait essayer ce livre en particulier. Si je me souviens un peu, il s’agissait pour moi de lire ce que l’on me présentait comme un sacré bon policier avec une fin un peu surprenante.
Il n’en faut pas plus ; et grand bien me fit de le lire.
Le côté polar est plutôt bien ficelé : un commissaire du Mittelland (pas celle de Tolkien ; l’autre) vivant ses dernières heures se lance dans une enquête touchant à la sphère économico-politique, pour tenter de trouver l’assassin d’un de ses collègues. Difficile de décrire davantage l’intrigue sans en dévoiler le côté « surprenant », mais je peux vous confirmer qu’il y a un peu de surprise, sans plus.
En fait juste assez pour rafraîchir le portrait d’une société et d’un milieu que l’on commence à notre époque à plutôt bien connaître, un milieu qui est prêt à sacrifier hommes, femmes, enfants, animaux de compagnie, démocratie et justice pour le bien des affaires. Or les individus qui se retrouvent écrasés par ses rouages inhumains pachydermiques ont (et ça aussi on semble l’oublier) la possibilité de faire front, de rester debout et préserver leur liberté.
Sauf qu’il y a un prix, que Le juge et son bourreau met cruellement en scène.
Je n’oublie évidemment pas de mentionner les quelques scène pimentées de suissistude qui font ma foi pas mal rire.
DÜRRENMATT, Friedrich. Le juge et son bourreau. Paris, Librairie générale française, 2010. 124 p.